Ton projet est décrit comme « électro tribal ». Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
Alors « Électro », c’est vraiment le côté machine, le côté actuel : MAO et contrôleurs (claviers et pédalier) + un synthé. Et « tribal », c’est le côté plus acoustique avec le tom basse (qui résonne comme un tambour), le Dood et le chant dans plusieurs langues du monde (Peul, Wolof, Rom, Arabe etc….)
Par rapport à ton nom, « Louv », est-ce que ça a un lien avec l’animal ou pas du tout ?
Oui complètement mais pas que. Le nom a été une évidence pour moi, autant que d’enlever le E, pour le côté androgyne et pour pouvoir aussi y mettre une double signification. Je me sens proche du loup, de la vie en meute et aussi du vieux loup solitaire. Je fais le lien avec notre animalité, avec la notion de vivant parmi le vivant. Pour moi, l’humain n’est pas au centre, il fait partie d’un ensemble.
Louv est un projet féministe et engagé politiquement. Il y à une volonté très forte d’aborder des problématiques de sociétés, de soulever des questions liés à des discrimination sociales, culturelles ou de genres. De parler de l’humain, tant sur des questions existencielles que pour défendre ses droits et aussi de notre rapport au vivant dans sa globalité.
Il y a aussi ce livre que j’adore de Clarissa Pinkola Estés « Femmes qui courent avec les loups », qui parle de parle de la femme sauvage, de la femme louve, la femme guerrière. Et j’aimais l’idée de faire un clin d’œil à cette philosophie.
Est-ce que tu as d’autres influences, que ce soit musicales ou culturelles, qui nourrissent un peu ton univers ?
En littérature, j’adore la poésie philosophique. J’adore Rainer Maria Rilke, « Lettres à un jeune poète », ou encore « poteaux d’angle » d’Henri Michaux. Ce sont des livres que je trouve moteurs, qui parlent de la nécessité de créer et de prises de risques.
Et puis en musique, c’est très riche. Il y a aussi bien des musiques électro, genre Kompromat, Vitalic… De la musique du monde comme Rokia Traoré, qui est une femme incroyable, ultra engagée. Du Tinariwen, blues berbère. Il y a tellement d’influences. Et puis du gros punk qui tâche aussi ! La chanson française, parce qu’on a des auteurs incroyables. J’ai été bercée par La Tordue qui a une patte incroyable niveau écriture.
Puis surtout l’expérience de la vie, que ce soit ma vie ou celle des autres. Le nouvel EP en est encore un témoin. J »aime aller chercher la rencontre, les histoires, les témoignages… Parce que ce sont des moments de partage, des clés sur comment un humain fait face à une situation, comment il gère les choses à son échelle, avec ce qu’il a, avec ce qu’il est.
Justement, les rencontres sont un peu au centre de ton nouvel EP qui s’appelle « Témoignages ». Est-ce que tu peux nous parler un peu de sa construction, de son nom ?
C’était une réflexion autour de « OK, moi j’en suis où ? Comment j’habite ce monde ? ». Et le constat, qui est personnel et que je trouve finalement assez collectif, c’est qu’il y a un besoin de fédérer, de se retrouver, de savoir ce que vit l’autre, de pas se sentir seul aussi parce que je pense qu’il y a beaucoup d’isolement depuis qu’il y a autant d’écrans. Il y a un besoin de se rapprocher un peu des uns des autres et de vivre des choses dans le réel.
Et puis aussi d’aller un peu au cœur de l’actualité parce qu’il se passe des choses graves. Il y avait un besoin d’aller interroger, comprendre et chercher des informations sur tout ça et en parler tout simplement. Donc voilà, ça a été une réflexion sur comment moi je prends la parole sur ces sujets-là et comment je la donne aussi. Comment je peux donner la parole à des gens qui traversent ou ont traversé des choses qui me paraissent importantes à raconter. Des gens à qui on ne donne jamais la parole aussi, qui ne sont jamais écoutés, entendus.
Il y a eu des choix de thématiques avec des envies personnelles de traiter certains sujets, et puis aussi des opportunités. Je me suis mise en relation avec notamment une association qui accueille des migrants sur le territoire de l’Indre. De fil en aiguille, des choses se sont tissées, des amitiés sont nés, je suis passée à l’écriture et le nouvel EP est là maintenant, rempli de tout ces moments.
Comment tu incorpores ça dans l’EP ?
En fait, ça s’est imbriqué d’une manière assez simple et progressive. Il y avait le travail de la musique que je faisais dans mon studio, et parallèlement, il y avait le travail du texte.
Il y a des textes que j’ai écrits seule. J’ai pris la parole sur deux thématiques, notamment « Guerrière » et « Ras l’Bol ».
- « Guerrière » parle de la femme, de la puissance ancestrale de la femme pour la lutte de ses droits, quels que soient les âges, les époques, les cultures.
- « Ras l’Bol » est un sujet qui traite du pillage actuel dans notre société, de la montée du fascisme. C’est vraiment une manif pour dire stop.
Et après, les quatre autres titres sont des thématiques que j’ai voulu aborder avec des personnes qui ont vécu les sujets dont je voulais traiter.
- « Le Cri des femmes » : c’est une femme qui a vécu le mariage forcé, l’excision. J’ai écrit le texte à partir de son témoignage, en croisant plein d’histoires. C’est une femme qui a fui sa condition et qui a emmené avec elle plein d’autres femmes dans cette lutte pour leurs des droits. Le texte est écrit en français, mais chanté en Peul.
- « Homs » : c’est un morceau en Arabe (Syrie). C’est là où habitaient Abdul et ghina. C’était des moments énormes de partage et aussi de rires, de chants. J’avais envie de montrer comment l’humain tient là-dedans, comment il s’en sort. Le prisme qui est donné, c’est l’espoir.
- « Et un jour, il y a eu les bombes… » : c’est un morceau en ukrainien. J’ai pu passer beaucoup de temps avec Anastasiia et Laryssa Pashkova. Ça raconte leur quotidien avant la guerre et comment tout d’un coup, tout ça s’est fait renverser. C’est une souffrance énorme, et c’est une force énorme de savoir gérer un départ et d’arriver dans un pays. C’est un hommage.
- « Gadday » : C’est un morceau en Wolof qui parle du parcours des migrants. Ce texte que j’ai écrit en Français c’est Ibrahima Mbaye qui m’a aidé à le traduire dans sa langue natale. C’est une personne avec qui l’échange a également été très riche.
Ce sont des rencontres magnifiques. Et ce qui est super, c’est que par exemple, dans « Homs » avec Abdul, comme il adore chanter, je lui ai proposé de poser une voix sur le morceau, donc il est présent sur l’EP. Pour moi, c’est que le début d’une démarche. J’aime le rôle de créer du lien avec des gens.
J’ai à coeur aussi de dire qu’il y à eu une très belle Collab musicale avec Max Raguin qui a posé un gimmick d’accordéon sur « et un jour… » et une percu sur « gadday » et qu’Alex Imbert qui est co-arrangeur sur l’EP a fait le mixage et mastering de l’EP.
Un mot pour terminer ?
Ce que je peux ajouter, c’est que la phrase phare de cet EP, c’est « la joie comme acte de résistance ». J’ai voulu avoir une phrase pour définir cet EP, et c’est celle-ci, parce que pour moi, c’est une lutte dans la joie. Je pense qu’on en a besoin. On a besoin de la lutte et on a besoin de la joie aussi. L’énergie de la joie est très constructive. Elle diffuse des choses possibles car la joie n’a jamais dressé de mur nulle part.